A propos
L’humain au cœur du monde qui l’entoure est depuis de nombreuses années le fil conducteur de mon interrogation artistique. La dimension existentielle, l’inexorable fuite du temps, la quête de l’équilibre entre ce que nous sommes et ce qui est, les dualités et l’adversité, sont autant de questionnements auxquels ni la peinture, ni la gravure, ni aucune forme d’expression artistique, ne peuvent répondre de façon irréfutable ou formelle…Chacun d’entre-nous peut cependant y trouver, selon son propre regard, un sens véritable, une résonance, une fenêtre sur son univers intérieur.
S.C-Thouron

Le regard de Philippe Flesch sur mon travail
1 C’est en s’éloignant de l’insaisissable que l’image se rapproche de la réalité: elle se débarrasse des scories d’un imaginaire au service de l’inconscient tel l’affidé de son tyran.
Toute certitude demeure cependant superficielle, en suspens. Elle s’abîme n’y pouvant plus, rejoint les profondeurs où veillent les contraires.
2 Un ciel d’encre lavée dresse son mur où s’ombre la silhouette du dernier homme. Seuls des mots de pierre encombrent son passé, écrasent sa mémoire tandis que s’ouvre éclatante une porte de lumière.
3 L’écho de la main sur le papier laisse une trace, transcription d’états d’âme, de rêves ou de cauchemars, lacérant de noir la surface blanche que la crainte d’une révélation blanchit plus encore. Des symétries trompeuses corrompent l’image. Le désordre des perspectives, l’instabilité des couleurs, le désir de rendre visibles l’errance et le doute imposent leur infinité latente. Comme si tout n’était pas dit.
4 Donner forme à l’inconnu, parvenir à l’ineffable, accorder son regard à l’horizon menaçant, regard de l’épervier ( du milan peut-être ) que la faim aiguise et dont le vol à distance fait du champ de blé un chiffon lointain d’où voir une croix grise s’approcher du sol en cercles silencieux ( ne serait-ce pas plutôt un vol en spirale?). Mais que faire de ce rêve de plume, de cette légèreté inutile quand tout est gravité, attraction pour le vide, malaises et vertiges?
5 Il se jette dans l’impossible sans biais. Une vélocité d’envoûté qui n’aurait de cesse de repousser les limites du temps, d’en briser la logique. Cette exaltation donne à l’espace une souplesse, une harmonie qui rendent possibles l’anachronisme, le détachement. Mais il s’agit là de la poursuite d’un fuyard qu’on ne capture jamais.
6 Une paroi abrupte s’embrase au couchant, brulée d’ocres de feu couvant, des flammes surgissent de l’à-pic attisées par le souffle des âmes perdues qui sans trêve, agrippées à la roche se hissent jusqu’au refuge d’où de plus robustes les repoussent. Choir alors sans un cri, rejoindre le pied de la falaise, meurtries et résignées avant de recommencer.
7 L’abasourdi regarde l’horizon et son oeil fixe n’y voit rien de plus qu’une ligne qu’il ne saurait franchir, incapable à jamais d’estimer le pas nécessaire à ce franchissement.
8 Seul sur une pointe de terre un homme de maigre proportion fixe l’étendue. Cette géométrie dont le bâton de Malone serait le mètre-étalon engendre tristesse et mélancolie. Le ciel éclaire la terre sombre. Ce que regarde cet homme, c’est l’engeance où le malheur l’a jeté. Il la regarde comme il est regardé, conscient du conflit permanent entre réel et illusion, peine et rédemption. Il ne sait pas ce qu’il voit, mais il accepte cette condition sans issue. Une image naît, éblouissante, dont la pureté cerne le contour. La brutalité des levées noires ravageant l’espace souligne le flou de l’arrière plan, le lointain diffusant sa dimension spectrale, d’où émerge une silhouette en train de s’effacer. Elle s’enfuit, légère et transparente, à jamais errante, pendant qu’au loin résonnent des cris de meute.
9 Attendre, attendre encore bien que fourmille dans les jambes l’envie de gambader, de sauter par dessus les ruisseaux, se résigner à l’immobilité sans le moindre regard pour l’eau qui court, sans jamais plus le désir d’y aller. Rester sur place et attendre jusqu’à l’épuisement que plus rien ne soit possible, ne résiste à l’ennui. N’avoir de pensée que celle, irritante, du caillou dans la chaussure.
10 Signes plus que traces, des indices dont le sens échappe à qui s’en tient à la construction de l’image, à son agencement et ne parvient pas à en dépasser les limites, moins encore à les déplacer, qu’une volonté d’élucidation, un désir d’éclaircissement ont disposé intentionnellement comme des pavés marquant l’avancée d’un chemin. Qu’importe alors le sens et le message, décelables malgré tout, l’émotion prend le dessus, assigne le contenu à la forme.
11 Seule cette avancée, ce surplomb donnent une idée de l’espace. Notion confirmée par l’échelle, la rencontre en un point d’équilibre de deux infinis, deux univers inconciliables qui se heurtent avant de s’accrocher l’un à l’autre, de conjurer le vide. Une angoisse nouvelle alourdit le silence, le marasme distrait du chaos celui qui n’en perçoit que l’écho, le tumulte atténué.
12 L’abîme de l’homme quelconque s’ouvre à son pas, la boue de la fondrière l’immobilise au milieu du champ, pétrifié mais en marche vers un autre part qu’il ignore.
D’autres que lui, aux membres engourdis, s’alignent maladroitement dans le sillon où pèse le fardeau des souvenirs. Un liseré de lumière borne la prairie, dispense sa flamme d’ivoire sur les verts alanguis soulignant ainsi la profondeur des pans d’ombre que la main du peintre hésite à figurer. Du reflet d’une image mentale ne sourd aucune vision du réel, seuls comptent l’étonnement et l’élévation qui en font la force et l’affirmation d’une nécessité.
13 Chute de l’homme sans freins, inéluctable, une plongée dans les eaux mortes de l’oubli. Fureur du désarticulé dont le cri se mêle à celui de l’oiseau de nuit et qui, de ses mains tordues appelle au miracle. Il s’effraie du brasier qui l’accueille, du feu qui aura raison de son obstination, fera céder sa résistance.
14 Les ailes du grand emportement font surgir un nouveau langage. Une image gouvernée s’offre à la nuit. Une maigre flamme la poignarde, la transforme en une évidence immédiate qu’aurait transcendée cette blessure silencieuse. Comme si suffisait l’expérience de la vie pour tordre le cou du mystère.
15
Ressentir l’intime, s’accoutumer au tragique, à l’écroulement,
à l’inexprimable qui ne sait que faire des mots, saisir l’idée
ce qui exige une habileté d’un autre âge, du geste qu’ose le
sage s’emparant d’effluves et de risées: l’intime, l’idée,
le tragique sont des chimères, des mirages aussi fragiles que la
flamme vacillante d’une chandelle.
Philippe Flesch
Le regard de Régis Nivelle sur mon travail
Parler du travail de Sylvie Coupé Thouron est un exercice périlleux au sens où les mots sont hélas bien insuffisants pour pouvoir dire l’extraordinaire vibration des noirs, des blancs et des poudres bleutées dans nombre de ses tableaux. Insuffisants pour témoigner de mon ressenti en rapport avec la présence du regard que cette artiste porte sur le vide et la matière, le corps et l’âme.
Mais d’abord cela : que par la seule pratique consistant à laisser le regard parcourir une œuvre sculptant le vide et installant le vivant dans l’agir, y compris dans l’expérimentation de son impuissance, immergé dans un espace où la logique de situation ne s’appuie nulle part, il peut arriver qu’on ressente un flux serpenter autour des cervicales, et que l’envahissement de cette onde impondérable mette tout le corps en oscillation.
Je parle de cela, car c’est ce que j’ai véritablement ressenti en découvrant cette œuvre. Un vertige, comme un trouble vestibulaire, ou comme si je m’étais retrouvé les pieds joints, immobile, en équilibre à l’à-pic d’une haute falaise. Même balancement du corps éprouvé lors d’une station debout dans une église dans les Landes, près d’une fontaine aux eaux guérisseuses qui soignent dit-on, maux de tête et « folies diverses », « les maux des yeux et de peau ».
Premières impressions. Flaques, failles et fractures d’un cosmos, de non-lieux déchirés, marquées par des ruptures de plans où femmes et hommes semblent s’être égarés. Nous sommes peut-être entre le monde des vivants et les confins d’un ailleurs. L’atmosphère est zébrée de lacis noirs ou éclairée par des précipités de blancs, d’argent, que ponctuent des brumes et des prairies d’ocres et de sang.
Les surfaces de matière, qu’on dirait parsemées de cristaux d’halogénure d’argent, paraissent intouchables, impénétrables, à l’instar d’une photo. Seule la vue en première intention en capture l’espace. Ensuite, plus on pose le regard, et plus cet espace pictural s’avère bel et
bien ouvert, riche, profond, et que l’on peut pénétrer. On regarde cette surface, mais elle aussi nous regarde.
Autre chose encore.
Je dis cela avec beaucoup de modestie et de réserve, car une telle expression artistique peut bien se passer de mes commentaires – mais à mon sens, la peinture de Sylvie Coupé Thouron se présente comme une suite de mises en œuvre, un déroulement créatif qui s’organiserait sur les trames d’un tissu mémoriel composé d’îlots de clarté que se partageraient tour à tour Aurores et crépuscules.
La mémoire d’un futur ? J’aime croire que nous abritons une mémoire plus vieille que nous.
Sous le spalter surgissent des ciels d’une infinie profondeur d’où se détachent des silhouettes aux visages à peine esquissés semblant être en errance sur des reliefs les supportant à peine.
D’ailleurs, les ciels ou les Enfers sont peut-être sous leurs pieds. Peut-être s’y baignent-ils déjà. Apparemment, ils n’en savent rien.
Nos yeux et notre esprit en tout cas s’y abandonnent. On entre en pérégrination avec ces êtres. On veut les suivre et savoir ce qui les attend au-delà des horizons et des voiles de brume qui les entourent, savoir s’ils trouveront le passage. Mais quel passage, pour quelle issue ?
Sensation d’une étrange familiarité avec eux.
Reconnaissance d’une étrange et terrible beauté.
L’œuvre happe le regard.
Ainsi, devant chaque tableau, on éprouve un trouble qui nous interroge sur la place que notre réalité nous propose d’occuper, dans une conscience collective devenue amnésique, où l’instantanéité prédomine et rend nos prisons invisibles.
Dans l’œuvre de Sylvie Coupé-Thouron, tout est lenteur, tout est immense. Afin de s’en approcher, de laisser naître les réminiscences qu’un tel univers occasionne en nous, le lâcher prise est nécessaire.
La patience du regard est précieuse. Le tête-à-tête est silencieux, le dialogue amoureux.
Vertige de se perdre dans son intranquillité, d’y entendre un respir, la respiration d’un chant ténu mais profond, embarqués que nous sommes par l’ambitus de ses tons.
Alors, entendant ce souffle, en découvrant les chemins qu’il emprunte, en le percevant tel un chant, comme une sorte de mélopée de l’invisible, de l’indicible, en prenant le temps d’accepter son amplitude, on voit petit à petit les corps se redessiner, plus nettement lumineux. Les insituables reliefs du réel prennent soudain moins de place.
L’intériorité retrouve la sienne.
Le voilà le lieu possible de l’histoire.
C’est le corps que la parole du rêve conduit.
Voilà l’endroit où (pour moi) la peinture de cette artiste existe vraiment et nous guide. Non vers l’illustration d’une écriture hermétique et tragique, mais au sein d’une œuvre à la fois forte et subtile, claire et complexe où s’articulent retrait et dissémination, une œuvre hantée par les ombres portées d’un langage rendu muet à force de marcher dans sa nuit d’itérations.
Je crois que c’est l’éclat de la « matière » qui transporte finalement les silhouettes vers le visible, elles-mêmes portant sa lumière. Je crois encore que si les contours du dernier visage devaient totalement s’effacer derrière les vitres du vide, il en resterait encore, sous le regard de Sylvie Coupé Thouron, l’éclat d’une information.
Pas d’Achéron, pas l’ombre d’un nocher, pas de fil d’Ariane non plus.
Pour moi, cette peinture rejoint les plus belles lisibles et illisibles traces.
Régis Nivelle
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